Changer son vocabulaire pour changer sa vie?

Je suis récemment tombé sur un article de  Anthony Robbins, un entrepreneur et auteur américain spécialisé dans le leadership et la psychologie de la performance. Dans cet article intitulé « Changé votre vocabulaire, changer votre vie: l’outil le plus simple que je connaisse pour transformer immédiatement la qualité de votre vie » (ma traduction), Robbins explique comment il a découvert que le fait de changer les mots qu’il utilise pour décrire ses émotions influence la façon dont il vit ces émotions. Derrière l’anecdote, on peut mettre en relation cet article avec un bon nombre d’articles et de recherches scientifiques sur le lien entre vocabulaire et émotions, voire, plus largement, sur notre perception du monde. Des études suggèrent l’existence d’un lien entre la capacité à gérer ses émotions et nos capacités linguistiques, voire plus spécifiquement l’étendue de notre vocabulaire émotionnel (entre-autres Eisenberg, Sadovsky & Spinrad – 2005; Cohen & Mendez – 2009) ainsi que l’état de la recherche sur l’alexithimie ou aussi, comme on peut le supposer assez intuitivement, la capacité des mots à susciter des émotions consistantes avec le mot évoqué (entre-autres Feldman Barrett, Gross, Conner Christensen & Benvenuto – 2001). La théorie des cadres relationnels (TCR; théorie sur laquelle se fonde en partie l’ACT) explique comment les mots conduisent à éviter les événements psychologiques douloureux (Villates & Monestes – 2010). Comme nous le montre aussi les recherches sur la psychologie de la persuasion, le choix des mots influencent notre probabilité d’agir dans un sens ou un autre. Les mots dits ou les implications de ces mots influencent notre conception du monde. On peut donc aisément se représenter la boucle de rétroaction qui génère notre expérience émotionnelle:

Evénement -> Réaction émotionnelle (physiologique) -> Cognition de l’émotion -> Association à un mot -> influence du mot sur l’émotion perçue -> ajustement de l’émotion et/ou de sa cognition -> etc.

On peut facilement imaginer comment un vocabulaire restreint peut influencer notre perception de nos émotions. Si, hypothétiquement, je n’ai que le concept de « furieux » et « frustré » pour décrire ma colère, il est fort probable  que je serai fréquemment « furieux » vu que je manquerai de concepts pour décrire et me représenter mes états émotionnels intermédiaires. Si je me dis que je suis triste, je peux avoir la représentation que je suis triste maintenant ou, aussi, que je suis triste tout le temps, ou parfois, etc.  Notons aussi que « je suis triste » est différent de « je ressens de la tristesse en ce moment » qui n’implique pas un état global (je me définis comme étant triste, entièrement) mais bien le ressenti d’une émotion (que l’on peut associer à un état partiel) transitoire. Cette dernière formulation aura probablement un effet différent sur notre conceptualisation de notre expérience et donc, in fine, de nos réactions à cette expérience.

Il me semble, intuitivement, plus facile d’éprouver un sentiment positif juste après m’être dit « je ressens de la tristesse maintenant » que lorsque je me dit « je suis triste », qui implique un état que je perçois comme plus durable. Bien sûr, ce ne sont que des mots mais ce sont ces mots qui sculptent notre perception du monde et de notre réalité psychique. On peut donc aussi facilement imaginer comment le fait d’ajouter des mots de vocabulaires pour définir des états intermédiaires dans notre perception des émotions peut interrompre une spirale négative. Si au lieu de me dire « je suis furieux », je me dit « je ressens un sentiment scrogneugneu » (bougon avec un côté « amusant » dû au mot), je vais probablement avoir un sourire (même intérieur) qui va modifier positivement ma perception de mon expérience. Entraînez-vous donc à trouver de nouveaux noms ou synonymes à vos expériences émotionnelles, vous permettant de les discriminer avec plus de précision, de sensibilité  voire aussi d’humour :o) Je vous renvoie aussi à la petite présentation ci-dessous sur le côté magique des mots et surtout de certains.  

Publié par Emmanuel Nicaise

Master en psychologie clinique et psychopathologie de l'Université Libre de Bruxelles (ULB). Psychologue clinicien agréé par l'INAMI et la commission des psychologues. Psychothérapie brève et thérapies cognitivo-comportementales. Travaille avec enfants, adolescents et adultes. Doctorant en psychologie à l'ULB. Sujets d'intérêts: psychologie de la cyber sécurité, vigilance, confiance, haut-potentiel intellectuel, influence des nouvelles technologies sur le développement des enfants, psychologie des émotions, psychologie du risque.

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