Les zèbres, une nouvelle cible marketing

Déjà, si l’on demande une définition de l’intelligence aux 20 chercheurs les plus impliqués dans le domaine, on obtiendra probalement 20 définitions assez différente (je crois me souvenir qu’un journaliste a fait le test mais je ne retrouve pas l’article). De plus, les outils psychométriques ne font pas ce qu’ils prétendent faire. On ne mesure pas l’intelligence. On peut mesurer une distance, une masse mais l’intelligence est un concept mal défini. On ne mesure que la performance a des tests impliquant des tâches (et donc, théoriquement des fonctions cognitives différentes). Ce sont donc des estimations de performances cognitives sur des échelles arbitraires. Ca vaut donc ce que ça vaut (une mesure de performance a des tâches qui impliquent des fonctions cognitives, cérébrales, particulières, du moins, sur base de ce que l’on en sait pour le moment mais qui ne représente pas l’intelligence de son ensemble, loin de là). De plus, ces mesures sont fortement influencées par l’entrainement, la concentration, l’état de fatique, l’envie de répondre, le stress, etc. Bien sûr, les psychologues qui font de la recherche sur le sujets connaissent toutes ces limitations (enfin, ceux que j’ai rencontré). Elles sont d’ailleurs assez clairement explicité dans les manuels de passation des tests tels que le WAIS et le WISC. Un psychologue qui connaît un peu le sujet ne donnera normalement pas une valeur mais un intervalle (qui couvre entre 10 et 15 points) tant les tests sont imprécis. De plus, on ne donne un QI global que si il est pertinent, c’est a dire qu’il y a une homogénéité des résultats dans les sous-tests (ce qui n’est pas souvent le cas). Ensuite, on sait qu’on ne tient pas compte de toutes les dimensions possible de l’intelligence. Les dimensions musicales, créatives, psychomotrices et autres ne sont généralement pas évaluées. C’est principalement l’intelligence verbale et logico-mathématique qui est évaluée (et sur-représentée) tout en sachant que les tests, bien qu’étalonnés par pays et cultures, n’en son pas moins biaisés. Ca aussi, c’est un phénomène connu. Notons aussi que le QI n’est pas une échelle vu que, de nos jours (pas comme à l’époque des tests de Binet), il représente le résultat relatif d’une personne par rapport à une moyenne normalisée (centrée sur 100, écrat-type de 15), que l’on appelle une Gaussienne. Donc, il peut y avoir plus de différences, en termes de performances cognitives, entre une personne obtenant 153 et une autre 155 qu’entre une personne obtenant 90 et une autre 110 à une des échelles. Comme le suggère le modèle de Gagné, qui modélise la différence entre douance et talent, le tout n’est pas d’avoir de bonne capacités cognitives (un bon processeur), encore faut-il vouloir l’utiliser, la développer et la nourrir. Raisons pour laquelle en Belgique on préfère le terme de Haut-Potentiel à celui d’intellectuellement précoce (signifiant qu’il y a un moment ou la différence n’est plus perceptible) ou de Douance (car pour être doué, il faut utiliser ses fonctions). A titre indicatif, déjà en 1920, Terman avait fait une étude sur le lien (ou plutôt son absence) entre le QI (tel qu’il était mesuré à l’époque) et la réussite sociale ou professionnelle (entre autre en utilisant le QI de prix Nobel). Tout ceci pour dire que la notion de QI et surtout les tests psychométrique sans lesquels elle n’existerait pas, sont des outils destinés à des professionnels et dont la vulgarisation des résultats n’amène, visiblement, que des stéréotypes, des prédictions auto-réalisantes (dont des négatives), des étiquettes (qui enferment les personnes dans le un rôle qui correspond trop souvent au stéréotype) et pleins de fantasmes mais peu de vraies solutions pour les personnes évaluées. Il me semble donc plus prudent de laisser ces chiffres et ces notions aux professionnels. Jusqu’à présent, personne n’annonce son score à une échelle de dépression de Beck aux autres, pourquoi le fait-on avec une échelle de Weschler? En général, personne n’essaie d’expliquer une inadaptation à l’école en fonction du taux de Cortisol dans le sang ou d’un niveau de testostérone. Personne ne vient vous dire « vous avez 300 nmol/L de cortisol dans le sang », ça explique que vous ayez du mal à écouter à l’école. Pourtant, on le fait avec le résultat de tests de QI dont ce n’est clairement pas la fonction et qui sont probablement bien moins pertinent comme explication que ne pourrais l’être la mesure du cortisol justement. Faire passer un WISC (un test de QI pour enfant) n’est pas quelquechose d’anodin que l’on peut faire devant un écran de PC ni pour le plaisir. Personnellement, je ne fais pas de test avec qui que ce soit s’il n’y a pas une raison valable, c’est à dire que les résultats du tests me donneront un éclairage pertinent sur les difficultés que rencontrent mon patient et pourront guider sa prise en charge (ce qui, dans le cadre des tests de « QI », concerne généralement des problèmes d’apprentissages, des dys-quelque chose). Quand j’ai des patients qui me disent que leur enfant a une phobie scolaire ou un problème d’attention ou encore de discipline, ce n’est pas dans un rapport de WISC (surtout si la personne faisant l’évaluation ne prend pas la peine de donner le contexte de l’examen ni comment il s’est déroulé en termes comportementaux et psychosociaux) que je vais trouver un indice. Par contre, savoir que des enfants de 6 ans peuvent avoir une compréhension du monde qui dépasse celle de certains adultes mais qu’ils sont probablement bien moins capable de gérer l’impact émotionnel que cette compréhension implique, ça c’est utile. Savoir qu’un enfant peut avoir une perception des risques et des événement qui est bien plus fine que celle de certains adultes, ça permet de ne pas les catégoriser (catégoriser étant déjà une bétise en soit) l’enfant dans les psychotiques ou les paranoïaques (c’est du vécu!). Travailler en utilisant l’étiquette « HP » ou « Zèbre » est, il me semble, une erreur, car l’étiquette devient l’arbre qui cache la forêt. Chaque individu est différent et le fait qu’une personne possède des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne (ce qui n’est pas une maladie, rappelons-le, raison pour laquelle on ne parle normalement pas de « diagnostiquer » des HP) n’explique pas à lui tout seul les éventuels problèmes affectifs, sociaux, méta-physiques ou autres. C’est un fait non-négligeable mais non-suffisant. D’ailleurs, cela n’aurait pas de sens face aux grand nombre de personnes « HP » qui vont aussi bien que le reste de la population (voir même mieux, statistiquement). Et voilà un article de plus dans la section « Haut-Potentiel » de ce blog :o) (et oui, il semblerait qu’il y ai une demande pour la section)  ]]>

Publié par Emmanuel Nicaise

Master en psychologie clinique et psychopathologie de l'Université Libre de Bruxelles (ULB). Psychologue clinicien agréé par l'INAMI et la commission des psychologues. Psychothérapie brève et thérapies cognitivo-comportementales. Travaille avec enfants, adolescents et adultes. Doctorant en psychologie à l'ULB. Sujets d'intérêts: psychologie de la cyber sécurité, vigilance, confiance, haut-potentiel intellectuel, influence des nouvelles technologies sur le développement des enfants, psychologie des émotions, psychologie du risque.

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