Remboursement de la psychologie clinique en Belgique: Enfin!

Depuis le 1er avril 2019, les prestations des psychologues cliniciens sont enfin remboursées par l’INAMI (la sécurité sociale). Bien sûr certaines mutualité offraient déjà un remboursement depuis quelques années (souvent 10€ par séance pour 6 à 12 séances par an) mais celui-ci ne rendait pas le suivi psychologique accessible à tous. Désormais, le patient ne paie que 11€ pour sa consultation chez un psychologue clinicien agréé par l’INAMI et ce pour maximum 8 séances par an.

Bien sûr, il y a quelques petits bémols. Cette avancée importante pour les patients n’est pas encore généralisée à tout le monde ni à tous les types d’interventions. Pourquoi? Simplement parce qu’il s’agit d’une phase d’évaluation par l’INAMI et que le budget nécessaire (estimé à environ 220 millions d’Euro par an) pour subventionné ces interventions n’a pas encore été trouvé. Cependant, un budget d’un peu plus de 20 millions a déjà été débloqué et cela permet de prendre en charge, dans le cadre d’interventions de première ligne (= pour des troubles qui peuvent être pris en charge en quelques séances) pour trois types de difficultés: Les troubles anxieux, la dépression (et le burn-out) et la dépendance à l’alcool. Pourquoi ces trois difficultés? Simplement parce que ce sont les plus fréquentes et celles qui coûtent cher en médicaments et en absentéisme à notre collectivité. Vu qu’il s’agit d’une phase pilote dans un cadre restreint, les patients qui désirent bénéficier de ces interventions doivent d’abord passer chez leur médecin généraliste ou leur psychiatre qui devra leur faire une prescription de renvoi (qui n’est pas la prescription habituelle du médecin mais bien un document standardisé que le médecin peut trouver sur le site du réseau 107).

Cette première prescription permet au patient de prendre rendez-vous avec n’importe quel psychologue clinicien agréé par l’INAMI. Cette agrément vous garanti aussi au passage que le ou la psychologue possède le visa autorisant la pratique de la psychologie clinique, qu’il ou elle respecte le code de déontologie des psychologues et qu’il ou elle a un minimum de 3 années de pratiques préalables. En dehors de cet agrément, vous bénéficiez toujours, dans le cadre d’une relation thérapeutique avec un psychologue clinicien disposant du visa autorisant la pratique, de la protections du cadre légal régissant la pratique des soins de santé, tout comme c’est le cas avec un médecins généraliste ou un psychiatres. Le secret professionnel, qui est un des fondements de la pratique de la psychologie clinique et une des questions qui revient fréquemment de la part des patients, est mis en force par le code de déontologie des psychologues (cliniciens ou non) et par le cadre légal réglementant les professions de soins de santé auquel les psychologues cliniciens sont désormais rattachés.

Espérons qu’après les quelques années prévues pour l’évaluation du projet, celui-soit étendu et généralisés à l’ensemble des problématiques et de la population. Ce n’est cependant pas chose faite car le projet ne fait pas l’unanimité, principalement en Flandre ou les associations professionnelles appellent au boycott du projet, résultant dans un manque criant de praticiens souscrivant à la convention avec l’INAMI. On peut bien sûr estimer que 1€ par minute n’est pas suffisant pour un psychologue qui à du faire 5 ans d’études universitaires suivi par 3 années de formations complémentaires et de pratiques supervisées mais tous les psychologues ne demandaient pas autant avant cette proposition (et ne sont pour autant pas moins compétent) et il peuvent donc s’y retrouver. Les associations professionnelles s’insurgent contre le cadre restreint à quelques difficultés (pathologies), ce qui est légitime mais ne tient pas compte des progrès réalisés. Depuis plus de 20 ans, les projets de reconnaissance des spécificités de la psychologie clinique et le remboursement de celle-ci restaient au fond des tiroirs des politiciens, au grand désespoir des psychologues et surtout des patients, et maintenant qu’un progrès significatif est fait, les associations professionnelles se rebellent. On peut comprendre que c’est aussi leur fond de commerce, de défendre la profession ou du moins leur vision de la profession, mais cela me semble faire preuve d’une manque de flexibilité psychologique. Je sais combien l’engagement dans la défense et la promotion de sa profession est une mission difficile, exigeante et louable mais parfois ce rôle nous confine dans une position qui est un peu rigide. Rien n’empêche cependant d’accepter ce qui est tel qu’il est pour le moment, d’aider ces nombreuses personnes dans le besoin d’une aide enfin abordable et de continuer en même temps à militer pour une meilleure rémunération. D’autant plus que l’agrément INAMI ne force pas à appliquer ce tarif lorsque le psychologue pratique en dehors du cadre des soins de première ligne.

Un autre argument qui est souvent utilisé pour s’opposer à cette nouvelle mesure est que le nombre de séance remboursé est insuffisant. Là aussi, je m’étonne de l’argument. Même si certains « modèles » thérapeutiques tendent à prendre un peu (voir beaucoup) plus de temps que d’autres, la plupart des modèles psycho-thérapeutiques « reconnus » permettent des interventions efficaces en 4 à 8 séances. Ce nombre de séance à d’ailleurs été déterminé suite à une étude faites chez nos voisins Hollandais et montrant que une vaste majorité des patients voyaient leurs problèmes résolus en 4 à 8 séances. Et c’est aussi ce que mon expérience professionnelle me laisse à penser. D’autant plus si l’on considère le cadre des interventions de première ligne qui s’adresse spécifiquement à des difficultés modérées qui peuvent normalement être prisent en charge en quelques séances.

Je terminerai en revenant sur un troisième argument que je lis souvent pour s’opposer à ce progrès: la prescription de renvoi du médecin. La pratique de la psychologie clinique est, de par la loi, une pratique autonome. Entendez par là que le psychologue ne travaille pas sur base d’un diagnostic ou d’une évaluation effectuée par une tierce personne (comme c’est le cas pour le kinésithérapeute qui travaille sur base de la prescription du médecin ou du médecin radiologiste qui se base sur la prescription d’un de ses confrères). Certains s’insurgent donc que la « prescription de renvoi » du médecin va à l’encontre de cette autonomie. C’est là malheureusement dû à un choix de mot peu judicieux. « Prescription de renvoi » aurait pu être remplacé par « lettre de recommandation ». Etant donné la phase pilote, le médecin généraliste, qui reste dans plus de 90% des cas le point de contact premier pour toutes les souffrances, physique ou psychique, est là pour assurer un « pré-sélection », un filtrage préalable, assurant que les psychologues ne se retrouvent pas face à des patients qui ne rentrent pas dans le cadre de la phase pilote et qu’ils soient obligés de leur expliquer qu’ils doivent dès lors payer plus que ce à quoi ils s’attendaient. La prescription de renvoi n’empêche pas tout à fait cette situation vu que la première séance, de 60 minutes, est normalement consacrée à l’évaluation, par le psychologue clinicien, de la demande du patient et de son adéquation avec le cadre défini. Le psychologue clinicien est donc bien dans une pratique autonome.

Publié par Emmanuel Nicaise

Master en psychologie clinique et psychopathologie de l'Université Libre de Bruxelles (ULB). Psychologue clinicien agréé par l'INAMI et la commission des psychologues. Psychothérapie brève et thérapies cognitivo-comportementales. Travaille avec enfants, adolescents et adultes. Doctorant en psychologie à l'ULB. Sujets d'intérêts: psychologie de la cyber sécurité, vigilance, confiance, haut-potentiel intellectuel, influence des nouvelles technologies sur le développement des enfants, psychologie des émotions, psychologie du risque.