Tous des génies

Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide » (Albert Einstein) Provenant d’un personnage symbolisant le génie humain, cette citation semble plus acceptable que si elle venait du « commun des mortels ». Néanmoins, il ne me semble pas que cette pensée soit partagée par un grand nombre de personnes, y compris dans la communauté scientifique. Elle est acceptée fort souvent, et le modèle des intelligence multiple de Gardner y a probablement fortement contribué, mais elle ne me semble pas intégrée tant il est encore fréquent d’entendre cité des exemples de hauts-potentiels intellectuels comme représentants ou images prototypiques de la douance. Pourtant, on peut difficilement contester le génie (et j’emploie volontairement le terme à la place des termes « hauts-potentiels », vu qu’il me semble que le potentiel est pleinement réalisé) de personnages tels Mozart, Magritte, Picasso, Pietragalla, Rodin ou Desproges. Il est vrai que ces formes d’expressions de l’intelligence sont complexes, subjectives et difficiles à quantifier. N’oublions pas qu’actuellement, la notion de haut-potentiel se base principalement sur une notion statistique considérant les personnes d’une population qui sont les plus performant dans certains domaines, et généralement, les 2,2% qui se situent au-delà de deux écart-type par rapport à la moyenne sur une courbe gaussienne. Dès lors, il me semble difficile de classer des prestations artistiques ou humoristiques et d’identifier les hauts-potentiels dans ces domaines. Ça semble possible pour l’intelligence musicale, plus difficile pour le visuo-spatial (bien qu’il y a des tests existants) et franchement complexe pour l’humour, l’expression corporelle ou les arts plastiques. Si on glisse vers les performances sportives, la notion de haut-potentiel devient encore plus difficile à objectiver. Pourtant, ils sont nombreux dans le monde à voir du génie dans les performances de Bubka, Beckham, Pelé, Clijsters, Valera, Tissier, Popov et autres. D’ailleurs, ces sportifs et/ou combattants utilisent des capacités intellectuelles qui sont mesurables individuellement mais qui ne s’expriment à leur paroxysme que lorsqu’elles sont combinées à leur créativité, leur psychomotricité voire encore d’autres « potentialité ». Bien sûr, comme le modèle de la douance et du talent de Françoys Gagné le souligne, le don n’est pas suffisant, il faut qu’il puisse se développer dans un cadre propice et avec le travail ou l’entrainement nécessaire. Tous les êtres doués ne seront pas talentueux, comme semble l’indiquer une des études réalisée par Lewis Terman, l’inventeur du QI (qui était encore à l’époque le résultat du rapport entre l’âge mental et l’âge réel de la personne, tout un programme), dans le courant des années 1920. Si l’on veut pousser la réflexion vers l’absurde, on peut se demander ce qu’il en serait si nous devions considérer la performance à certains jeux vidéo, au poker, à la construction de châteaux de sable, de maquettes en allumettes ou je ne sais encore quoi d’autre comme critères de mesure d’un potentiel? Bien sûr nous retrouverions une série de processus cognitif qui sont de mieux en mieux isolés par les neuro-cognitivistes et nous retrouverions probablement des capacités élevées dans d’autres domaines, les potentiels dans les différentes formes d’intelligence étant sous-tendus par un facteur commun (appelé facteur G) qui semble être plus ou moins présent (important) selon les processus cognitifs impliqués. On peut quantifier la performance de certains processus cognitifs isolés ou en groupes et ainsi identifier les personnes qui présentent des performances supérieures hors-normes, que nous appellerons les hauts-potentiels. C’est ce que permettent, en partie du moins, des tests comme ceux proposés par Wechsler, le WAIS ou le WISC. Cependant, nous n’avons probablement pas encore identifié et/ou quantifié tous les processus cognitifs à l’œuvre dans cette magnifique machine qu’est notre cerveau. Les critères actuellement utilisés pour « identifier » les hauts-potentiels ne sont donc pas exhaustifs. En soit, on peut d’ailleurs se demander qu’elle est la nécessité d’identifier toutes les formes de haut-potentiel. Il y a là de vraies questions d’ordre philosophique et politique. Les tests de performances intellectuelles comme les échelles de Wechsler trouvent leur utilité dans l’analyse plus ou moins fine qu’ils fournissent quant au fonctionnement intellectuel / cognitif de l’individu et donc, de là, la capacité de discerner les causes de problèmes d’apprentissage scolaire ou de fonctionnement intellectuel. En dehors de cela, l’utilisation de ces tests pour discriminer une population, voire pour la stigmatiser, me semble hautement discutable et sujet à un questionnement éthique, et ce, que ce soit pour le haut-potentiel ou pour les déficiences intellectuelles. C’est d’autant plus questionnable qu’il arrive fréquemment qu’on utilise le haut-potentiel pour expliquer certaines caractéristiques émotionnelles et sociales de ces individus. Hors, ces caractéristiques ne leurs sont pas réservées et ne sont pas systématiquement présente. La diversité des types de personnalité que l’on retrouve parmi les hauts-potentiels est probablement aussi grande que dans le reste de la population. Il est cependant vrai que certaines caractéristiques sont plus fréquentes parmi les HP que d’autres (perfectionnisme, hypersensibilité, sens aigu de la justice, etc.). Elles ne sont cependant pas systématiquement présentes, faut-il le rappeler, et une investigation de la personnalité est la seule façon d’évaluer ces caractéristiques, tout comme pour le reste de la population. Le haut-potentiel intellectuel est une caractéristique qui ne définit pas la personnalité même si elle peut l’influencer. Il est donc nécessaire de laisser les stéréotypes de côté et de considérer les personnes à haut-potentiel dans leur individualité et leurs spécificités « hors normes ». ]]>

Publié par Emmanuel Nicaise

Master en psychologie clinique et psychopathologie de l'Université Libre de Bruxelles (ULB). Psychologue clinicien agréé par l'INAMI et la commission des psychologues. Psychothérapie brève et thérapies cognitivo-comportementales. Travaille avec enfants, adolescents et adultes. Doctorant en psychologie à l'ULB. Sujets d'intérêts: psychologie de la cyber sécurité, vigilance, confiance, haut-potentiel intellectuel, influence des nouvelles technologies sur le développement des enfants, psychologie des émotions, psychologie du risque.

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